Racines
Sur la minuscule place du village
Une femme, de voiture, descend.
On peut lire sur son visage
Toute la peine qu’elle ressent.
Je viens dit-elle de l’autre rivage,
Je réponds à l’appel de mon sang .
C’est comme un vrai pèlerinage
Pour mon cœur convalescent.
Marguerite Taous Amrouche.
La jeune femme belle et racée
Dit : je ne suis point étrangère.
Même si je vous parle en français
C’est là le pays de grand-mère.
Je suis à la recherche du passé
Dont nous devons tous être fiers.
Son histoire ne peut être effacée
Si nous restons tous solidaires.
Marguerite Taous Amrouche.
Les enfants n’ont pas entendu
Parler de cette illustre dame.
Dans son village,elle est inconnue ;
N’est ce pas là un véritable drame.
L’amnésie et l’oubli ont hélas vaincu
L’esprit des hommes et des femmes.
Son souvenir tendre s’est perdu
Comme brûlé par les flammes.
Marguerite Taous Amrouche
Interrogeons les anciennes pierres,
Cherchons sa trace sur les murs,
Hélas même dans le vieux cimetière
On ne trouve pas sa sépulture,
Et dans les manuels scolaires
Son nom est frappé de censure
Taous ! oh toi l’ange de lumière
Éclaire nos mémoires obscures.
Marguerite Taous Amrouche.
Une vénérable vieille de passage,
Dos voûté et visage parcheminé,
Avec son doigt, trouva le courage
De nous montrer où Taous est née.
Une maison envahie d’herbes sauvages
Hantée par les défuntes années.
C’est un dur et offensant outrage
Que de la laisser ainsi abandonnée.
Marguerite Taous Amrouche.
Pourquoi veut-on effacer la trace
De cette grande dame de Kabylie,
Elle n’a fait que défendre sa race
Et sauver sa culture de l’oubli.
Érigeons sa statue sur chaque place,
Et que son souvenir soit anobli.
Nous devons tous lui rendre grâce
En revalorisant ses chants et ses écrits.
Marguerite Taous Amrouche.
N’oublions pas Fadhma Ath Mansour
Qui malgré son long exil,
N’a ménagé aucun effort
Pour lui transmettre la culture kabyle.
Des monts du Djurdjura et des Babors,
Elle a puisé une moisson fertile.
Taous et sa mère nous ont légué un trésor ;
A nous d’en faire œuvre utile.
J’ai composé ce poème, avec rage,
Pour honorer la région d’Ighil-Ali ;
Une façon aussi de rendre hommage
A Mouhouv Amrouche et Malek Ouari :
Des hommes libres, à la plume sage,
Qui dans leur cœur ont porté la patrie.
Leurs œuvres sont des héritages,
Des trésors de notre chère Kabylie.
Marguerite Taous Amrouche
Marguerite-Fadhma Aït Mansour Amrouche (1882 à Tizi Hibel en Algérie - morte en 1967 en France), mère des écrivains Jean Amrouche et Taos Amrouche, était une écrivain-poète algérienne d'origine kabyle.
La mère de Fadhma, Aïna Aïth Larbi Ou-Saïd, née dans les environs de Taourirt Moussa en Haute Kabylie,
est d'abord mariée très jeune à un homme beaucoup plus âgé, avec qui
elle a deux enfants. À la mort de son mari, Aïna décide de vivre seule
avec ses deux enfants, et refuse l'offre de son frère Kaci de venir
habiter chez sa mère, comme c'est de coutume. Alors son frère la renie :
écartée de la famille, elle ne peut même pas assister aux funérailles
de sa mère.
Aïna et un homme de son voisinage, qui s'avère être de la même famille
que son ancien mari, tombent amoureux. Pas encore mariée, Aïna tombe
enceinte. L'homme, déjà fiancé avec une autre femme d'une famille
importante, refuse de reconnaître la paternité. Aïna est exclue de la
communauté, et accouche seule dans sa maison de Tizi Hibel, avec ses deux jeunes enfants.
Dans ce contexte, naît Fadhma Aït Mansour, fille illégitime de mère veuve. Dans son enfance, au village, elle subit la méchanceté des villageois, avec de nombreuses violences. En 1885, sa mère la confie aux Sœurs des Ouadhias : elle y est persécutée par les religieuses. Sa mère se remarie. En 1886, Fadhma entre au pensionnat laïque de Taddert Ou-Fella près de Fort National. Elle passe son certificat d'études en 1892. Elle retourne ensuite à son village près de sa mère, qui lui apprend les coutumes et les savoirs traditionnels, notamment des chants et poèmes kabyles. Elle quitte ensuite son village, et part travailler à l'hôpital des chrétiens de Ait Manguellet. Les Sœurs blanches, catholiques, ont une grande emprise sur elle, et finissent par la convertir. Elle reçoit plus tard le nom catholique de Marguerite.
Elle rencontre un autre Kabyle catholique converti, originaire d'Ighil Ali en Basse Kabylie, Antoine-Belkacem Amrouche, avec qui elle se marie, alors qu'elle a 16 ans et lui 18. Ils ont ensemble huit enfants : Paul-Mohand-Said (1900-1940), Henri-Achour (1903-1958), Jean-El-Mouhoub (1906-1962), Louis-Marie (1908-1909), Louis-Mohand-Seghir (1910-1939), Marie-Louise-Taos (1913-1976), Noël-Saadi (1916-1940) et René-Malek (1922-). La famille Amrouche, après avoir habité quelque temps à Ighil Ali chez les beaux-parents de Fadhma, s'installe à Tunis en Tunisie. Fadhma y passe la majeure partie de sa vie, mais ne cesse de penser à sa Kabylie natale : « J’étais toujours restée en Kabylie, malgré les quarante années que j’ai passées en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française… »
En 1930, elle entreprend, avec sa fille Taos et son fils Jean, l'écriture et la traduction en français de ces chants berbères, conservés jusque là par la tradition orale. Belkacem, son mari, meurt la nuit du 27 décembre 1958. Elle subit de nombreux autres décès dans sa famille, et compose elle-même des poèmes pour ces enfants partis trop tôt. Ces contes sont mis à l'honneur dans les Chants berbères de Kabylie de Jean Amrouche en 1939. Ils sont également repris en partie dans Le Grain magique par sa fille Taos Amrouche, publié en 1966. Fadhma décède le 9 juillet 1967 à l’hôpital de Saint-Brice-en-Coglès en Bretagne (France), à l'âge de 85 ans.
En 1968, son autobiographie Histoire de ma vie est publiée à titre posthume. À travers ce récit, Fadhma peint le combat de la femme kabyle du XXe siècle, sa place entre la Kabylie, sa langue et la langue de l'empire colonial, dans cette société kabyle qui lui impose de nombreuses contraintes, sa religion, pourtant exercée discrètement, mais qui la force à l'exil, les coutumes au nom desquelles cette même société l'exclut, en la punissant durement déjà avant même sa naissance, mais aussi cette culture berbère, et ses chants folkloriques qui lui « avaient permis de supporter l'exil et de bercer [s]a douleur. »
Jean Amrouche naît le 6 février 1906 en Algérie, sur le versant nord de la vallée de la Soummam, dans l'un des villages de la commune d'Ighil Ali (Petite Kabylie), mais à cause d'un temps neigeux, n'est déclaré à l'état civil que sept jours plus tard[<abbr>réf.</abbr> souhaitée].
En 1910, sa famille, christianisée et francisée2, quitte l’Algérie alors « française » pour s'installer en Tunisie (en ce temps-là sous protectorat français), plus précisément à Tunis, où elle obtient la nationalité française3. En 1921, après de « brillantes études secondaires »3 au collège Alaoui2, il entre à l'École normale de Tunis, puis en 1924, part exercer comme instituteur à Sousse3. Finalement reçu en France à l'École normale supérieure de Saint-Cloud, il y étudie pendant trois ans à partir de 19254. Il est ensuite professeur de Lettres dans les lycées de Sousse, Bône et Tunis, où il se lie avec le poète Armand Guibert, et publie ses premiers poèmes en 1934 et 1937. Pendant la Seconde Guerre, il rencontre André Gide à Tunis, et rejoint les milieux gaullistes à Alger.
Jean Amrouche est, de février 1944 à février 1945, à Alger, puis de 1945 à juin 1947 à Paris, le directeur de la revue L'Arche, éditée par Edmond Charlot, qui publie les grands noms de la littérature française (Antonin Artaud, Maurice Blanchot, Henri Bosco, Joë Bousquet, Roger Caillois, Albert Camus, René Char, Jean Cocteau, André Gide, Julien Green, Pierre Jean Jouve, Jean Lescure, Henri Michaux, Jean Paulhan, Francis Ponge …).
Jean Amrouche réalise simultanément de très nombreuses émissions littéraires, sur Tunis-R.T.T. (1938-1939), Radio France Alger (1943-1944), et surtout Radio France Paris (1944-1958), dans lesquelles il invite des théoriciens (Gaston Bachelard, Roland Barthes, Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin, Jean Starobinski, Jean Wahl), des poètes et des romanciers (Claude Aveline, Georges-Emmanuel Clancier, Pierre Emmanuel, Max-Pol Fouchet, Jean Lescure, Kateb Yacine) et des peintres (Charles Lapicque).
Il est l'inventeur d'un genre radiophonique nouveau dans la série de ses entretiens, notamment ses 34 Entretiens avec André Gide (1949), 42 Entretiens avec Paul Claudel (1951), 40 Entretiens avec François Mauriac (1952-1953), 12 Entretiens avec Giuseppe Ungaretti (1955-1956).
Après avoir été mis à la porte de Radio France, en novembre 1959 par Michel Debré, Premier ministre de l'époque, alors qu'il sert d'intermédiaire entre les instances du Front de libération nationale algérien et le général de Gaulle dont il est un interlocuteur privilégié, Jean Amrouche ne cesse à la radio suisse, Lausanne et Genève, de plaider de 1958 à 1961 la cause algérienne. Il meurt d'un cancer quelques semaines après l'accord du cessez-le-feu.
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